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La loi du silence

publié le mardi 15 mai 2018

Le collectif « Stop secret d’affaires » - composé de plus de cinquante organisations représentant des journalistes, des lanceurs d’alerte, des chercheurs, des représentants du personnel et des ONG – a remis le 4 mai au président de la République plus de 538 000 signatures recueillies par la pétition s’opposant à l’adoption en l’état de la loi sur le secret des affaires (plus de 550 000 signatures le 11 mai). Le collectif a demandé à être reçu par Emmanuel Macron.

Le projet de loi présenté par le gouvernement et adopté en première lecture par l’Assemblée nationale le 28 mars et le 18 avril par le Sénat, doit passer en Commission mixte paritaire* le 24 mai. Cette loi est l’application de la directive européenne destinée à protéger les entreprises contre le vol de leurs secrets industriels et commerciaux. Mais la transposition de ce texte s’est transformée en outil permettant de poursuivre toute personne, organisation ou média qui rendrait publiques des informations d’intérêt général sur la situation d’une entreprise. Pourtant, le droit français dispose de suffisamment de textes protégeant les entreprises. Et la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse permet de poursuivre les « délits commis par la voie de la presse ou tout autre moyen de publication ». Aussi, la pétition demande que le champ d’application du texte soit restreint aux seuls acteurs économiques en assurant une protection contre le vol des informations commerciales et techniques des entreprises, afin que le droit fondamental à l’information des citoyen-ne-s soit préservé.

Dès l’obtention et la publication de la moindre information les concernant, la loi permettra aux entreprises de mener des procédures judiciaires longues et coûteuses, où le média, le journaliste, le lanceur d’alerte auront la charge de la preuve. Un scénario très dissuasif, y compris pour les médias les plus importants, qui hésiteront à mener enquêtes et investigations dans ces conditions. Pour les lanceurs d’alerte isolés ou les représentants du personnel qui auraient connaissance de procédures économiques ou financières contestables dans leur entreprise, le risque sera encore plus important. Les effets de cette loi se sont déjà fait sentir avant même sa promulgation, avec la condamnation de « Challenges » par un tribunal de commerce suite à une action en justice de Conforama. Edouard Perrin, journaliste à « Cash Investigation » a été mis en cause devant la justice luxembourgeoise dans l’affaire du scandale européen d’évasion fiscale LuxLeaks.

On ne peut s’empêcher de faire le parallèle avec le projet de loi sur les « fake news », annoncée en début d’année. Les fausses informations ont toujours existé, et leur prolifération est sans aucun doute facilitée par Internet et les réseaux sociaux, qui se sont développés sans aucune législation les encadrant, hormis les dernières dispositions sur la protection des données privées que visiblement les GAFA appliqueront sans beaucoup de zèle. Mais surtout et bien avant l’apparition des journaux et des réseaux sociaux, les principaux pourvoyeurs de fausses informations ont été les dirigeants et gouvernements eux-mêmes, en particulier dans les situations de crise ou de guerre. La lutte contre les “fake news” est l’affaire de toutes et tous les citoyen-ne-s et ce n’est certainement pas à l’Etat, par le biais des tribunaux, de se faire juge de la validité d’une information, alors, que là encore la loi de 1881 permet de poursuivre les auteurs de ce type de délits.

On peut malheureusement craindre que les mobilisations citoyennes en cours pour défendre le droit à l’information n’aboutissent pas au retrait ou à la modification de ces lois potentiellement liberticides. Mais la vigilance et le soutien aux personnes ou médias qui seraient mises en cause abusivement dans ce cadre demeurent plus que jamais indispensables pour en limiter les effets.

Sylviane Baudois, vice-présidente de l’Association des Journalistes de Toulouse et de sa région

*La commission mixte paritaire (CMP) est, dans le processus législatif français, une commission composée de sept députés et sept sénateurs, auxquels s’ajoutent autant de membres suppléants, chargée de trouver un compromis entre l’Assemblée nationale et le Sénat

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